
CHRONIQUE. Avec ses prix prohibitifs, le Royaume-Uni est le pays «européen» le plus radical dans sa lutte contre le tabac. De fait, on voit très peu de monde fumer dans la rue. Ou quand l’argent fait la différence en matière de santé publique
A court de tabac à rouler, mon amoureux a été obligé d’acheter un paquet de cigarettes jeudi dernier à Edimbourg. De retour à l’hôtel, il m’a soumise au jeu de la devinette concernant le prix de ce trophée. J’ai dû proposer quatre montants progressifs avant d’arriver au jackpot. Car, oui, dans le quartier touristique, donc majoré, de la capitale écossaise, le paquet de Marlboro Gold se vend 21 livres sterling, soit 22 francs suisses! Véritable coup de massue pour les accros à la nicotine. Et de quoi envisager sérieusement de freiner, voire d’arrêter, sa consommation.
C’était en tout cas le pari lancé et en partie gagné par Rishi Sunak, ex-premier ministre britannique qui, entre autres mesures dissuasives, a fixé le prix des paquets de cigarettes à une fourchette allant de 16 à 18  euros dès la fin de 2023. Une mesure qui a déjà payé puisque, avec ses six millions de fumeurs quotidiens, le Royaume-Uni présente un bilan deux fois inférieur à celui des consommateurs français, constate le magazine Le Point. Avant d’ajouter: «Outre-Manche, fumer n’est plus fun ni cool.»
3,80 euros en Bulgarie
C’est sûr qu’avec un salaire moyen annuel de 35 000 livres, le citoyen britannique se questionne deux fois avant d’investir plus de 6500 livres par an (un paquet par jour) dans cette pratique. Ça fait quand même cher le plaisir coupable, d’autant que le Royaume-Uni a mis en place d’autres freins au tabac. «Il faut parfois faire la queue pour sortir «cloper» en boîte de nuit ou pendant un concert à cause du voisinage ou de la sécurité. Et la culture des terrasses n’existe pas», poursuit le magazine français, qui relève encore que les multiples et musclées campagnes de prévention ont réduit cette habitude au rang de «comportement déviant». Cela dit, les sondages sont unanimes: au-delà des chicanes et de la communication, c’est tout de même la cherté des cigarettes qui dissuade le plus les Britanniques de fumer. A la fin, le budget a le dernier mot.
A ce propos, les différences européennes en matière de tarifs subjuguent. Sans aller jusqu’en Bulgarie où le paquet de Marlboro (la marque la plus chère) ne coûte que 3,80 euros, les prix de l’Espagne (5,30), du Luxembourg (5,80) ou de l’Italie (6,20) expliquent le tourisme tabagique en provenance, notamment, de la France (12,50 euros), des Pays-Bas (11), de la Belgique (9,90) ou encore de la Suisse (9,30). Il faut bien sûr rapporter ces montants aux revenus moyens par habitant pour établir le «taux d’effort» des fumeurs en leur pays, mais, parmi les nations pratiquant les prix les plus prohibitifs, on peut encore mentionner la Norvège (13,90) et l’Irlande (15,60) qui se rapprochent du leader, la Grande-Bretagne, donc, et de ses 17,6 euros à débourser pour un paquet de Marlboro.
Courage politique à saluer
On applaudit le courage politique de ces gouvernements qui, malgré la pression des cigarettiers, privilégient la santé publique sur leurs propres finances, sachant que le commerce du tabac est fortement taxé par les Etats européens, 60% en moyenne et jusqu’à 80% en France. Un choix qui, en plus d’être vertueux, s’avère payant au final. Lorsque en 2024 Rishi Sunak défendait son projet de loi radical qui visait à bannir la cigarette en Angleterre – elle aurait été interdite à jamais à tout Anglais né après 2009!–, les études assuraient que le coût économique du «fléau du tabac» s’élevait à 17 milliards de livres sterling.
Dans le même ordre d’idée, en France, le coût social du tabac est évalué à 156 milliards d’euros, selon une étude de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Une somme vertigineuse, largement supérieure aux recettes fiscales générées par la vente de cigarettes (environ 13 milliards d’euros par an). Espérons, pour la santé de nos poumons, que les budgets nationaux aient là aussi le dernier mot.